Du plus lointain que je me souvienne j’ai entendu la mer, mêlée au doux bruissement des filaos ». Cette première phrase du Chercheur d’or, ce merveilleux livre de JM Le Cléziot, je l’ai fait mienne tant elle correspond et symbolise mes propres souvenirs d’enfance. Comme son auteur d’origine mauricienne j’ai eu la chance de vivre une enfance baignée au rythme de l’océan indien, au rythme des lagons et de leurs senteurs acidulées, au rythme de l’alizé jouant dans les branches des filaos qui bordaient les plages où je jouais pendant des heures.
Et de la maison où j’habitais avec mes parents sur les hauteurs de Saint-Denis de la Réunion nous dominions cet océan Indien dont l’infini bleuté se perdait dans le ciel azur. L’océan était là chaque jour à perte de vue. Un appel immuable qui a gravé au fond de ma mémoire l’empreinte de sa ligne bleutée. C’est sans doute là que tout a commencé. C’était l’époque de l’école buissonnière, des jeux dans les champs d’ananas, des aventures imaginaires. Celle du Capitaine Nemo et du Nautilus faisait bien sûr partie de mes favorites. Comme les héros de 20.000 lieues sous les mers, je rêvais que Je marchais sous la mer. J’avais transformé mon lit en sous-marin. Et j’y vivais mille plongées épiques. Puis vint la télévision en couleur. Et comme par enchantement, le monde sous-marin jaillissait à la même époque sur le petit écran grâce à un certain Cousteau. Cousteau a ainsi réveillé la mer qui sommeillait en moi et la kermesse cathodique qu’il proposait devint un rendez-vous que je ne manquais sous aucun prétexte. Et je n’ai plus vécu à cette époque qu’au rythme des aventures de la Calypso, des hommes aux bonnets rouges, des plongeurs aux combinaisons noires à bandes jaunes. Je plongeais à la rencontrer des otaries, des raies manta, des dauphins, des baleines, je pilotais la soucoupe plongeante, … Mon lit s’était retransformé en maison sous-marine. Je voulais habiter la mer.
De fil en aiguille, j’ai ainsi appris à plonger, j’ai fait des études d’environnement marin, puis d’océanographie et de biologie marine. De milieu d’aventure la mer est devenue sujet d’étude. La plongée devenant alors mon outil de travail pour comprendre et décoder ce qui se passait sous la surface de l’océan. J’ai ainsi étudié les algues de Méditerranée, les grandes laminaires des îles Kerguelen, les poissons de l’Antarctique… j’ai même étudié les crabes à la Jamaïque…
Cependant je sentais au fond de moi que l’envie de partager, de faire découvrir l’emportait peu à peu sur l’envie de chercher. Alors j’ai troqué le microscope pour l’appareil photo et abandonné les publications scientifiques pour les magazines grand public. Et je suis devenu photographe sous-marin et journaliste spécialisé dans le milieu de la mer. Et là j’ai parcouru la planète mer dans tous les sens. Pour témoigner de son infinie beauté. Trempant mes palmes dans à peu près toutes les mers et tous les océans du globe. Et j’ai aussi fini par rencontrer mon idole : le commandant Cousteau et aller à bord de la fameuse Calypso. Et si je n’ai pas travaillé pour lui, Cousteau a eu une influence déterminante sur moi. Comme bon nombre d’enfants de ma génération – la génération Cousteau -ayant eu cet écran bleu rivé au fond des yeux – Cousteau a ouvert mon esprit et ma conscience sur les problèmes d’écologie, d’environnement marin. Je ne pouvais plus simplement dire combien c’était beau sous la mer. Il fallait désormais que je dise combien c’était fragile et combien l’océan était important pour la planète.
Aujourd’hui je me passionne pour toutes les ressources technologiques, biologiques, sociologiques, issues du domaine marin, véritables sources de richesses qui conditionneront demain le futur de l’humanité. Car la clé de résolution de certains de nos problèmes actuels se trouve en partie au cœur de l’océan. A condition de savoir l’exploiter de manière raisonnée.
Mais, pour le bien de nos enfants – ces fameuses générations futures dont parlait déjà Cousteau – nous devons changer notre vision de monde. Nous devons placer l’océan au cœur de nos préoccupations quotidiennes. Il est illusoire de croire que l’on pourra continuer à parler de durabilité de la planète sans prendre en compte le paramètre océan. Nous devons aussi construire un nouveau modèle socio-économique mondial intégrant l’océan, de manière responsable et durable. Comme source principale d’innovation et de solutions pour la planète. Comme une valeur de progrès. Certains appellent cela la Blue Society. Ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’un modèle incontournable pour accompagner la planète vers un futur désirable. C’est d’un véritable changement de paradigme qu’il s’agit. Un changement de paradigme aux couleurs de l’océan.
Et pour réussir cet ambitieux pari sur le futur, si l’on veut que l’océan vive dans le cœur des hommes, alors il faut faire vivre les hommes au cœur de l’océan.